La langue bretonne

C’est une langue celtique de la branche brittonique, proche cousine du gallois, peut-être en partie du gaulois (disparu au milieu du VIIe siècle, mais aucune preuve ne peut étayer cette continuité, car on ne connaît pas l’état de la langue gauloise à l’époque des migrations des Bretons insulaires vers l’Armorique, et peu l’état du breton de l’époque), et surtout du cornique.

Le breton est traditionnellement parlé et écrit en Basse-Bretagne (à l’ouest d’une ligne reliant, grosso modo, Plouha et Vannes), il provient de la communauté de langue entre la Bretagne insulaire et l’Armorique (vers fin IVe siècle). Parler des élites de l’État breton jusqu’au XIIe siècle, il ne fut ensuite plus que celui du peuple de Bretagne Occidentale (Breizh Isel en breton) quand successivement la noblesse, puis la bourgeoisie bretonnes se francisèrent. Pour l’écrit, le duché de Bretagne employa le latin puis le français (XVe siècle). Il faut noter que le vieux breton nous a laissé un précieux vocabulaire (rare) qui sert encore aujourd’hui à produire des termes en breton dans le domaine de la philosophie et des sciences humaines. Mais ces termes restent incompréhensibles à tous ou presque, aussi il serait plus approprié d’adapter des termes empruntés à d’autres langues comme le français, tout comme l’anglais, le français et l’allemand s’empruntent mutuellement des termes techniques nouveaux.

La monarchie n’ayant jamais vraiment combattu les autres langues du territoire, c’est à partir de l’époque révolutionnaire que fut menée en France une politique de nivellement linguistique afin de faire disparaître les autres langues dites actuellement « régionales » (ou plus péjorativement « patois ») de l’Hexagone, dont le breton, au moyen notamment de pratiques humiliantes à l’encontre des écoliers dans les écoles publiques et confessionnelles. Cette politique autoritaire d’éradication du breton s’est poursuivie jusque dans les années 1960.

Aujourd’hui, malgré la politique française visant à imposer pour des motifs idéologiques la langue française comme langue de la République, le breton est encore parlé et compris par environ 300 000 personnes (environ 1 300 000 en 1930). Pour illustrer la vigueur de cette politique liberticide, une phrase mythique a traversé les âges : « Il est interdit de cracher par terre et de parler breton ». La juxtaposition de ces deux interdictions illustre bien la nature des moyens employés pour parvenir à réaliser un linguicide en Bretagne. Au début du XXe siècle, la moitié de la population de Basse-Bretagne ne connaissait que le breton, l’autre moitié étant bilingue breton-français. Ils n’étaient plus que 100 000 monolingues bretons en 1950.

À partir de 1925, grâce aux efforts du professeur Roparz Hémon, poursuivant l’idéologie du premier Emsav (Mouvement Breton), la revue Gwalarn a vu le jour. Au cours de ses dix-neuf années d’existence, elle a tenté d’élever cette langue au niveau des autres grandes langues « internationales » en créant des oeuvres originales couvrant tous les genres et en proposant des traductions du patrimoine littéraire de l’Humanité.

Mais la langue utilisée et prônée par Hémon cherche ouvertement à se couper de ses origines populaires pour des raisons idéologiques : le mouvement breton est avant tout bourgeois et citadin à l’origine, et développé presqu’exclusivement par des francophones ayant appris plus ou moins bien le breton (dans les livres) sur le tard. Le mépris des membres du mouvement breton pour les bretonnants de la campagne est assez généralisé, dans la mesure où peu de militants veulent admettre qu’un paysan ou un pêcheur puisse mieux parler breton qu’eux, qui ont fait des études. La langue utilisée par les militants, qui est aussi celle qui est enseignée et diffusée presque partout, est très éloignée du breton populaire.

Le breton populaire ne dédaigne pas l’emprunt au français (le breton, comme toutes les langues du monde, a toujours fait des emprunts aux langues voisines : latin, puis vieux-français, moyen-français et français moderne ; la majorité des emprunts sont méconnaissables à présent car ils ont évolué selon la phonétique et la morphologie originales du breton), mais son vocabulaire reste en majorité celtique, sa phonétique est éloignée de celle du français (en particulier son accentuation et sa ligne mélodique), sans parler de sa syntaxe très originale et de ses tournures idiomatiques extrêmement éloignées de celles du français.

Le breton utilisé et diffusé par le mouvement breton en revanche refuse tout emprunt visible au français. Une Commission constituée d’employés plus ou moins compétents est chargée de créer des mots nouveaux. Ils préfèrent toujours l’emprunt au gallois (langue celtique historiquement proche) voire à l’irlandais (avec lequel la parenté est beaucoup plus lointaine) à l’emprunt au français (pourtant plus logique et historiquement naturel). Etant généralement anti-français (comme les militants bretons en général), ils n’acceptent pas les emprunts à cette langue. Souvent, ils ne cherchent pas non plus à savoir s’il existe déjà des termes en breton populaire pour les réalités nouvelles. Du point de vue de la syntaxe et de ses modes d’expression, le breton des militants est souvent calqué inconsciemment sur le français. Les seuls locuteurs de breton sachant parler de façon naturelle et avec des tournures idiomatiques bretonnes sont les locuteurs de naissance (souvent, nous l’avons dit, des paysans ou des pêcheurs), mais ceux-ci ne sont presque jamais consultés par les militants ni par les professeurs. La prononciation de ces néo-bretonnants suit le système phonétique du français appliqué au breton écrit (en d’autres termes : les néo-bretonnants ont presque tous appris le breton à partir de l’écrit, et on pris l’habitude de prononcer le breton écrit comme si c’était du français, et reproduisent cette erreur quand ils parlent. Naturellement, le breton prononcé avec un fort accent français est incompréhensible aux bretonnants de naissance tout comme l’anglais prononcé à la française est très difficile à comprendre pour un anglophone qui n’y est pas habitué).

Ainsi, deux langues bretonnes coexistent :

* La langue bretonne traditionnelle, très riche, très éloignée du français dans sa syntaxe et son expression, mais qui contient un certain nombre d’emprunts au français (surtout pour les réalités du monde post-1950). Cette langue disparaît au fur et à mesure que les bretonnants, dont la majorité dépassent 70 ans, décèdent. Peu nombreux sont les gens qui s’intéressent à cette variété authentique de breton.
* La langue bretonne de la majorité des militants, que nous appellerons néo-breton, qui refuse tout emprunt visible au français, mais qui en revanche n’utilise presque que des modes d’expression calqués inconsciemment sur le français (la quasi-totalité des militants ont commencé l’apprentissage du breton au plus tôt à l’adolescence, et passent plus de temps à militer qu’à apprendre le breton traditionnel). Cette forme de breton est à peu près la seule enseignée, écrite, diffusée, imprimée. Le néo-breton est pratiquement entièrement dépourvu de tout ce qui fait l’originalité de la langue bretonne.

L’intercompréhension entre ces deux variétés de breton est presqu’inexistante, tant les façons de s’exprimer, le vocabulaire, la prononciation sont différents.

En 1946, ce fut Al Liamm qui prit la suite de Gwalarn. D’autres revues existent et font de la langue bretonne une langue à littérature plutôt fournie pour une langue minoritaire. Skol Vreizh, Emgleo Breiz, Al Lanv, Ar Skol Vrezoneg, Mouladurioù Hor Yezh, An Here, Evit ar brezhoneg et d’autres encore. Comme nous l’avons dit précédemment, la quasi-totalité de la « littérature » (au sens large, tout ce qu’on imprime) contemporaine en langue bretonne se fait en « néo-breton ».

Créées en 1977, les écoles Diwan (le germe) pratiquent la méthode par immersion pour l’apprentissage du breton, et ses écoles scolarisent des milliers de jeunes de la maternelle au lycée. Un autre mode d’immersion, bilingue, est proposé par les classes Div Yezh (deux langues). Là encore, dans la quasi-totalité des cas, on enseigne uniquement le néo-breton. Les professeurs sont mal formés le plus souvent, surtout au niveau de la qualité de leur breton, dans la mesure où ils sont formés par des militants, le gouvernement n’ayant pas mis en place de structure sérieuse et d’autorités compétentes en linguistique afin de s’assurer que les professeurs savent bien parler.

Aujourd’hui, presque tous les élèves formés dans des établissement bilingues ou Diwan ne connaissent et ne parlent que le néo-breton. Chacun pourra constater en allant en Bretagne, que presque tous les élèves ayant fréquenté ces établissements sont incapables de tenir une conversation en breton avec leurs grands-parents (quand ils sont bretonnants), tant la différence est grande entre leurs façons de s’exprimer.

Certains poètes, linguistes et écrivains d’expression bretonne possèdent maintenant une renommée internationale, tels Yann-Ber Kalloc’h, Anjela Duval, Pierre-Jakez Hélias. Ces trois écrivains font partie des derniers écrivains bretonnants à avoir le breton comme langue maternelle, et dont la qualité de la langue est appréciable.

La langue bretonne est aujourd’hui la seule langue celtique à ne disposer d’aucun statut, l’État français refusant de modifier l’article 2 de la Constitution ajouté en 1994 qui déclare que « La langue de la République est le français ». Chaque année, des rassemblements de plusieurs milliers de personnes demandent l’abrogation de cette loi unique en Europe.

Dernièrement, l’association des écoles Diwan a déposé une plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme pour obtenir des autorités publiques qu’elles respectent les droits linguistiques de la population bretonne. À noter encore que des groupes de bretonnants existent dans toutes les grandes villes de France, ainsi qu’au Royaume-Uni et en Amérique du Nord.

Néanmoins, le Ministère de la Culture ainsi que la Région Bretagne financent des organisations culturelles pour la promotion et la diffusion de la langue bretonne. Les dirigeants de ces organisations culturelles sont tous nationalistes et néo-bretonnants (mais le Ministère et les organismes gouvernementaux qui les financent l’ignorent), aussi ils ne promeuvent que le néo-breton, et le breton traditionnel est une fois de plus ignoré. Seules quelques organisations indépendantes (et souvent bénévoles) comme des radios locales ou quelques cours du soir de breton, dans les villages et petites villes, font ce qu’elles peuvent pour transmettre le breton populaire.

Le premier dictionnaire breton, le Catholicon, est aussi le premier dictionnaire français. Il a été rédigé par Jehan Lagadec en 1464. C’est un ouvrage trilingue breton, français et latin. Aujourd’hui, des dictionnaires bilingues anglais / breton, allemand / breton, espagnol / breton montrent bien la volonté de la nouvelle génération de bretonnants d’inscrire la langue dans le paysage linguistique international. Il existe aussi un dictionnaire unilingue, qui reprend à la fois quelques termes populaires et un nombre très important de néologismes (empruntés au gallois ou mal construits, voir plus haut). Pour trier les termes inventés et les termes authentiques, une recherche approfondie et compliquée est nécessaire (et personne ne la fait, car presque personne n’est conscient de la supercherie que représente le néo-breton). D’autres travaux lexicographiques plus savants sont en cours, notamment un Dictionnaire sanskrit / breton, à l’initiative de Paskal Geneste. Il est à noter que tous ces travaux se font quasiment de façon bénévole. Pour ce qui est de la néologie, il nous semble nécessaire de recommencer entièrement le travail, de rechercher tous les mots créés par les bretonnants traditionnels, et le cas échéant, procéder soit à des périphrases bretonnes afin de traduire les termes nouveaux, soit à des emprunts aux langues internationales comme le français ou l’anglais, car c’est ainsi que se créent les néologismes dans la majorité des langues du monde ; du moins dans celles où la néologie n’est pas mêlée à des notions de pureté du vocabulaire, aspect lié à l’idéologie et à la politique plus qu’à la linguistique et à la science !

1 commentaire

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David

C’est un bon texte. C’est très dommage qu’on n’ait pas accordé plus d’importance au breton réellement parlé.

Par contre, concernant la façon de construire les néologismes – à partir des grandes langues ou à partir de racines endogènes – je crois qu’il est quand même faux d’affirmer que toutes les petites langues privilégient la première méthode. L’islandais et l’inuktitut sont de beaux exemples de la deuxième méthode, et les créations sont en général bien acceptées par la population. Cela dit, on va toujours d’abord se demander s’il y a déjà un terme en usage.

Ce qu’il faudrait d’après moi, ce serait de mettre en place un système qui permette aux apprenants d’avoir des « mentors » bretonnants dans la communauté.

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